Par Danilo C. Dantas

Le concept que nous illustrons ici est celui de l’optique marché dans le domaine culturel. Ce concept fait référence à celui sur le modèle marketing. L’optique marché indique que le point de départ de la mise en marché d’un produit est le consommateur ou l’acheteur potentiel. Dans ce cas, le marketeur analyse les comportements, désirs et besoins des consommateurs potentiels et crée son offre en fonction des résultats de cette analyse (Colbert, 2014). Ce concept est en relation également avec le concept d’optique produit, qui indique que le point de départ de la mise en marché du produit culturel est l’artiste ou l’organisme.

Pour illustrer ce concept, examinons le cas de la musique enregistrée.

L’impact de la révolution numérique sur l’industrie de la musique n’est plus à démontrer. La popularisation de l’écoute en continu, le changement des modèles d’affaires, l’abaissement des barrières à l’entrée pour les nouveaux artistes sont autant d’exemples des conséquences de cette transformation. Mais peut-être que le principal impact sur le marché de la musique enregistrée est celui concernant les données. Le succès des services d’écoute en continu (streaming) comme Spotify, a permis aux maisons de disques, producteurs et artistes d’avoir accès à une grande masse de données.

Ces informations sont aujourd’hui promues comme ayant plus de valeur que l’argent (Xang, 2019) ! Elles permettraient aux musiciens, par exemple, de définir la setlist des concerts en fonction des préférences des fans dans chaque ville, ou même d’identifier des opportunités de collaboration avec des marques commerciales en fonction de la présence de fans/consommateurs sur un même territoire géographique.

Un exemple d’usage extrême de ces données, d’un point de vue d’optique marché, vient de la plateforme d’écoute en continu Spotify. Cette entreprise aurait utilisé les données générées par ses utilisateurs afin de créer des chansons qui répondent presque parfaitement aux gouts de ces personnes. Elle aurait poussé la logique plus loin en lançant ces chansons sous le nom de « faux artistes ». La plupart de ces chansons seraient instrumentales (non vocales) et vouées à faire partie de listes d’écoute de type détente, relaxation ou concentration. Le but principal ? Accumuler le plus possible d’écoutes sans avoir à payer des redevances à d’autres parties, comme les maisons de disques (Ingham, 2016). Un de ces faux artistes, Ana Olgica, en mai 2019 possédait une moyenne de plus d’un million et demi d’auditeurs mensuels sur Spotify (Ingham 2019). Dix de ces artistes auraient cumulé plus d’un milliard d’écoutes sur la plateforme.

L’accès à des données sur le comportement d’écoute de ses clients permet à Spotify de savoir exactement le « quoi, où, quand, et comment » de la consommation de musique en continu. Le lancement de produits (c.-à-d. des chansons) développés sur la base de cette intelligence de marché est un exemple très éloquent de l’adoption d’une optique marché. Il ne s’agit pas ici de discuter de la qualité artistique de ces morceaux ou des aspects éthiques reliés à cette pratique. Ceci pourra faire l’objet d’un autre billet.

Références

Colbert, F. (2014) Le marketing des arts et de la culture. 4e édition. Chenelière Éducation. Montréal, Canada.

Ingham, T. (2016) Spotify is Making Its Own Records… And Putting Them on Playlists. Music Business Worldwide. Accédé depuis https://www.musicbusinessworldwide.com/spotify-is-creating-its-own-recordings-and-putting-them-on-playlists/

Ingham, T. (2019) ‘Fake Artists’ Have Billions of Streams on Spotify. Is Sony Now Playing the Service at Its Own Game? Rolling Stone Magazine. Accédé depuis https://www.rollingstone.com/music/music-features/fake-artists-have-billions-of-streams-on-spotify-is-sony-now-playing-the-service-at-its-own-game-834746/

Xang, A. (2019) Music Streaming’s Real Value for Most Artists Is Data, Not Money. Rolling Stones Magazine. Accédée depuis https://www.rollingstone.com/music/music-news/apple-music-spotify-for-artists-data-analytics-868407/